mercredi 19 août 2015

CULTURE ET TRADITION

Le masques Zahouli

Les danseurs des masques Zahouli Tradition masquée en pays Gouro Les danseurs des masques Zahouli de Côte d’Ivoire partagent avec nous leurs traditions et leurs cérémonies de réjouissances. La tradition des masques Zahouli est née dans les années 50 dans le pays Gouro, en Côte d'Ivoire.
Le masque se rencontre dans toutes les sociétés humaines, dès lors que l’homme accède à la culture. Il peut symboliser les dieux, incarner la beauté et l’effroi, ou encore exprimer l’illusion, mais aussi le calme, l’ordre et la sérénité. En Afrique Noire, la sculpture des masques est une dominante artistique majeure, caractérisée par son incroyable diversité. Elle est particulièrement présente en Côte d’ivoire, d’où sont originaires les artistes du groupe des masques Zahouli et Flaly. Il se crée sans cesse des masques Zahouli, car il n’existe pas de limite, et bien que chaque masque ait une symbolique qui lui est propre ainsi qu’une forme originale, on en distingue généralement trois catégories : masques anthropomorphes, zoomorphes et anthropozoomorphes, selon qu’ils représentent des animaux, des humains, ou un mélange des deux. Tous sont peints dans des couleurs vives et ouvragés, et le style « patine ancienne » sur ce type de masque serait non seulement injustifé, mais également la preuve qu’ils ne sont pas « authentiques » : car leur caractère neuf et récent est le gage d’un art en perpétuelle évolution, acceptant changements et innovations. La tradition des masques Zahouli est née dans les années 1950 en pays Gouro. Ils tirent leur nom de la danse qu’ils accompagnent: le Zahouli, littéralement « flle de Djela ». L’histoire veut qu’un habitant de Zrabi Sehifa, en territoire Gouro, se soit un jour rendu dans un village voisin et y ait observé la danse typique : le boulou. Il s’en serait alors inspiré pour créer à son retour Zahouli, dont la beauté l’a rendue si populaire qu’elle a été adoptée d’abord dans tous les villages du Gouro, avant de s’étendre à l’ensemble des Ivoiriens.
Le Zahouli est une danse de réjouissance exécutée lors de fêtes et de funérailles, et compte parmi les plus gracieuses de Cote d’ivoire. Elle a notamment pour but de renforcer la solidarité entre les lignages et les clans, ainsi que d’accroître la productivité du village. Zahouli est une déesse de la beauté, et les chants en son honneur se rapportent à un déf lancé par une couleuvre à un oiseau. D’ailleurs, l’artiste qui l’exécute ne se lance-t-il pas un déf à lui-même ? Il doit en effet révéler son talent par sa diversité, son originalité ainsi que l’exécution des pas et des fgures qu’il réalise, car la danse Zahouli a une règle absolue : ne jamais, ô grand jamais répéter le même pas, au risque de se discréditer. L’orchestre qui accompagne cette danse si particulière est composé de voix, de percussions et d’instruments à vents, et égrène les sons caractéristiques de la musique du Zahouli. Le rythme de chaque pas est d’abord suggéré par une chanson, qui charme l’assistance et la met en émoi. Au chanteur viennent bientôt s’ajouter trois fûtes : la petite, la femelle et le mâle, qui lancent leurs sonorités claires avant que n’interviennent les percussions. Cinq tam-tam, des grelots et des balafons s’ajoutent ensuite à la mélodie. Alors, et seulement alors, peut apparaître dans toute sa splendeur le masque Zahouli...

Masque Flali
L'histoire de Flali est proche de celle du Zaouli. C'est une danse des femmes, lors de laquelle le masque se fait toujours accompagner d'une femme, et ils dansent ensemble. Elle est très populaire et il n'y a pas de règles fixes comme dans le Zaouli, elle laisse une plus grande liberté et est ainsi plus accessible. Elle peut se danser lors de n'importe quelle occasion. Il n'existe ici qu'un unique masque, qui représente la beauté du pan. Ses premiers créateurs sont le danseur Joli et le batteur Yélé, vers les années 1975.

Masque Zamblé
Le masque Zamblé a été inventé par des groupes Gouro appelés Wans. Ils sont les créateurs du Zamblé originel, il y a environ 200 ans, lorsqu'ils étaient installés dans la région de Bouaké. Il s'agit d'un des premiers masques Gouro, ensuite élargi à tout le territoire ethnique. Sur lequel sont réalisés les sacrifices, le masque Zamblé est réellement sacré. Il arrive pendant les cérémonies pour qu'elles se passent bien et afin d'assurer une bonne santé à tous, puis il repart en brousse. Il correspond, pour les catholiques, à "un prêtre dans une église". Zamblé est le seul qui a toutes les paroles, il est équivalent à un dieu dont le prêtre est celui qui fait les sacrifices. C'est la raison pour laquelle la jeunesse Gouro n'oublie pas Zamblé. Lorsque le prêtre appelle le masque, c'est comme faire une prière pour que tout aille bien.
Zamblé est un masque de grand duel, violent et très risqué ; c'est pourquoi le prêtre l'interdit aux femmes. Seul ce prêtre connaît le secret des paroles de Zamblé, les danseurs ne font qu'un duel. Le masque a les cornes d'une antilope et le visage d'un crocodile ; le prêtre est le seul à connaître le sens de ces symboles.

Masque Pawé
Cette danse de réjouissance a été créée à Tibeita (à 25km de Bouaflé) dans les années 1980. La jeune génération (Balo Bi Irié, Boula Bi Irié,...) a eu l'idée du masque Pawé, puis a été relayée par le clown du village, Baïti Bi Zamblé, qui fit évoluer le mouvement avec l'aide de Layé Bi Lizié (dit Jolo). Cette complicité a réuni tout le monde et a permis aux gens de s'amuser ensemble. Les jeunes et moins jeunes ont désormais un moyen de communiquer. En effet, il n'était pas facile autrefois de s'approcher des plus âgés. Grâce à Pawé, les générations se retrouvent ensemble. Les règles du masque sont simples : il ne faut pas se fâcher lorsque celui-ci te provoque, sinon on sent que tu n'as pas un bon coeur. Pawé est un masque- clown très laid, car pour lui ce n'est pas la beauté qui compte. Il représente tous les défauts et prend à parti le public avec dérision. Ce masque de la raillerie se roule par terre, tombe, rampe... et lorsqu'il arrive, les rires éclatent.

Goli, masque Wan/Gouro Cette danse est l'une des plus ancienne de l'ethnie Gouro. Les premiers habitants de Bouaké, Gouros appelés Wan, ont créé cette danse qui imite le dragon. Les gouros disent que le mouvement du masque est une manifestation de l'esprit qui l'habite provisoirement, de sorte que le porteur ne fait que subir, de façon inconsciente, ses assauts brusques et répétés.
Comme la plupart des masques Gouro, le Goli est porté comme nom de personnes. Si c’est une femme, elle s’appellera Goli Nan, la femme de Goli, et si c’est un homme, ce sera Goli Bi, le fils de Goli. Lorsqu’une personne portant le nom de Goli est malade, le charlatan (guérisseur sans connotation péjorative) annonce que c’est le masque Goli qui fatigue la personne, il faut donc lui dédier un sacrifice afin que la personne retrouve une vie normale. Goli est dansé au son des calebasses, et un cor l’accompagne. Ce dernier est le soliste qui communique avec le masque. Son arrivée a toujours lieu pour les cérémonies, il ne vient pas uniquement pour le plaisir : sacrifices, naissance d’un bébé Goli Bi ou Goli Nan pour donner la bénédiction de l’arrivée de l’enfant, funérailles de descendants de Goli où le masque accompagne le corps,…

Masque Ban
Le masque Ban est le masque sacré du babouin. Grand amateur de grimaces, il vient au village pour jouer, embrouiller les enfants. Si par malheur quelqu’un oublie son plat de riz, Ban repart en brousse avec. On l’entendra manger, puis il réapparaîtra une fois le plat vidé et lavé pour le ramener. Ban se danse lors des grandes funérailles, d’au moins deux semaines. Personne ne l’invite, alors il arrive à l’improviste. Son rôle est d’amuser les gens, les réjouir. Ban signifie voyou, malin, bandit en français, sans connotation péjorative.

LES ASPECTS CULTURELS ET TRADITIONNELS DU MARIAGE CHEZ QUELQUES PEUPLES DE COTE D'IVOIRE Mariage coutumier en pays Agni · Chez les Akan en général et les Agni en particulier, le mariage traditionnel se fait en deux étapes. Une première qu’on appelle le Kôkô qui est suivi du mariage traditionnel. Certaines circonstances autorisent la célébration du mariage en une seule fois au cours d’une cérémonie qui associera ces deux événements. Même s’il y a de légères différences selon les zones, l’ossature générale se présente ainsi : 1. Kôkô Le Kôkô correspond à la cérémonie de présentation du prétendant aux futurs beaux-parents. Le Kôkô n’est rien d’autre que l’onomatopée sensée représentée les coups que l’on donne à une porte lorsqu’on souhaite rentrer dans une maison. On demande ainsi la permission à la famille de la jeune fille l’autorisation que le prétendu puisse venir lui rendre visite. A cette occasion, une bouteille de liqueur est offerte, il s’agit généralement d’une bouteille de Gin. Cette cérémonie autorise la fréquentation officielle de la jeune fille. 2. Le mariage coutumier La cérémonie a lieu le matin dès le levé du jour. Une délégation du prétendant se rende chez les parentes de la promise. Le père du futur marié ou son représentant fait la demande en mariage. Un frère du père de la mariée donne en mariage la fille. Des talents d’orateurs sont demandés au porte-parole de la famille du jeune homme. Au cours de cette cérémonie pendant laquelle les familles se font face, un émissaire est également désigné ou choisi dans la famille de la jeune fille. Cet émissaire servira alors d’avocat et défendra les droits du jeune homme. Après les salutations d’usage, le porte-parole introduit la raison qui motive la venue de la famille. Un jeu s’installe dans le but de tester la patience du jeune homme et de sa famille afin d’évaluer sa détermination et se volonté d’épouser la promise. Il arrive qu’on fasse défiler les sœurs de la fiancée afin que le jeune prouve qu’il connait bien sa fiancée. Elle apparait ensuite couverte d’un pagne. Elle se découvre ensuite et son fiancé doit attester que c’est sa promise. Plusieurs dons en numéraire et en nature sont effectués au cours de cette cérémonie: * Liqueurs 6 bouteilles de liqueur (2 gins, 1 Rhum, 1 Martini, 1 Whisky et 1 Campari) sont offertes. Le nom de boissons mentionnées est indicatif et peu varié. Voici la répartition des boissons : - 1 bouteille de liqueur est retournée aux beaux-parents en guise de remerciement - 1 ou 2 bouteilles de liqueur à l’assemblée en guise de remerciement. Ces bouteilles seront consommées sur place au cours de la cérémonie. - 1 bouteille de Rhum à la famille pour la maman de la mariée - Le reste des bouteilles de liqueur est tenu à la disposition du père de la mariée ou de son représentant légal. * Dot en argent Elle est de 6 060 FCFA repartis de la façon suivante : 6 000 francs pour le père et la famille et 60 francs à rembourser en cas de divorce. * Un sac de sel : pour les tantes de la mariée * Un paquet d’allumette à distribuer à l’assemblée présente On peut prévoir 5 000 F de part et d’autre en remplacement du paquet d’allumettes * L’argent du couteau des frères de la mariée Une libation est ensuite faite par le père de la mariée ou son représentant. Cette libation est sensée unir les époux, remercier te recommander leur union aux ancêtres. La cérémonie de libation est plus qu’un acte banal ou uniquement culture. Il exige certains protocoles qui sont plus ou moins suivis. La libation se fait généralement sur la terre, elle boisson est versée dans la terre et des paroles sont prononcées au fur et à mesure. Il est parfois imposé à celui qui fait la libation de se déchausser et de descendre légèrement la pagne Kita qu’il a porté sur son épaule. Cette libation se fait en présence des époux qui se font face. Après la libation, il est demandé aux époux de s’accroupir et de déposer les mains dans la boisson qui a été versée et de porter leurs mains sur leur front. * L’argent de l’accolade entre les époux. Après la cérémonie de libation qui scelle le mariage, les époux se font des accolades. L’époux remet alors de l’argent à son époux. Cette somme est laissée à la discrétion de la mariée. Cette somme est remise à la mariée pour ses sœurs qu’elle quitte. * Une somme d’argent Cette somme est sensée compenser l’argent que les parents ont investi pour les soins et l’éducation de la mariée. La remise de cette somme d’argent ne signifie pas l’achat de la mariée mais montre la valeur de la femme.

La richesse et les rapports matrimoniaux

— Le rôle économique de l’épouse : la polygamie, Le travail féminin. — La cellule domestique. Exemples. — Le régime matrimonial : La dot. Fonction de la dot. — Richesse, capital, monnaie.

LE RÔLE ÉCONOMIQUE DE L’ÉPOUSE La polygamie L’importance du mariage est attestée par l’organisation hiérarchique de la société gouro, et il est indispensable d’en examiner les aspects sociaux et économiques pour comprendre toute la portée du système dotal. Les penu ne deviennent gonenu que par la voie du mariage qui mène à la paternité. L’homme au sens plein du terme, le gone, c’est avant tout le père de famille. Autour de lui se constitue une unité domestique sur laquelle s’affirmera progressivement son autorité en même temps que grandira son influence dans la communauté. La polygamie en étend encore les bases en élargissant sa famille et en faisant d’elle un microcosme social complexe, noyau éventuel d’un futur lignage. Le taux de polygamie reflète ainsi la hiérarchie sociale d’un groupe. On ne trouve dans chacun d’eux qu’un nombre restreint d’hommes mariés à plus de trois femmes — généralement les aînés, quelques gonenu mariés à trois femmes —, un plus grand nombre de bigames, généralement deux fois plus de monogames et un résidu important de célibataires parmi les jeunes gens en âge de se marier.

A titre d’exemple, la répartition des femmes à Bazré et à Ziduho se présente ainsi1 :

Bazré : 1 homme est marié à g femmes (Bolu bi Bia, chef de canton, aîné d’un segment du lignage de Diazramō, successeur du goniwuozā actuel) 62 hommes sont mariés à 4 femmes (Gonekalo, doyen de Diazramō, chef de tribu ; Tiombue, goniwuozā de Kwaïzramō) 73 hommes ont 3 épouses chacun 815 hommes ont 2 épouses 923 hommes ont 1 femme 1010 hommes d’environ 25 ans et plus sont célibataires. 11Ziduho : 1 homme est marié à 6 femmes (Bohu, chef du village, goniwuozā du principal lignage, Vahuzra) 2 hommes sont mariés à 4 femmes 8 hommes sont mariés à 3 femmes 1216 hommes sont mariés à 2 femmes 1332 hommes sont mariés à 1 femme 1410 hommes de plus de 25 ans sont célibataires, tandis que quelques jeunes de moins de 20 ans sont déjà mariés. La relation entre rang et polygynie n’est pas absolue car les vieillards qui ont depuis longtemps renoncé à exercer leurs fonctions ne renouvellent plus leurs épouses et laissent les femmes se concentrer autour de leur successeur plus jeune. A l’inverse, les jeunes hommes des lignages prééminents sont quelquefois mariés à un âge inférieur à la moyenne et deviennent polygames relativement tôt (voir tableau XII). Du fait de l’inégale répartition des épouses, le taux de polygamie moyen est faible ; d’après nos calculs, faits sur la base des recensements administratifs, il varie entre 1,2 et 1,8 (1,8 femme pour 1 homme marié) mais cette moyenne cache un nombre de célibataires comparativement élevé. Dans 3 villages Goura, par exemple, nous avons calculé que plus de 30 % des hommes de 25 ans et au-delà n’étaient pas mariés, certains d’un âge très avancé. La différence entre les rapports épouses/nombre d’hommes mariés et épouses/nombre d’hommes de plus de 25 ans donne une idée de la concentration des femmes (voir tableau XIII, p. 210).

Le travail féminin

Les tâches agricoles accomplies par les femmes ont déjà été mentionnées à propos de l’agriculture. Il s’y ajoute d’autres activités de pêche, de collecte ou d’artisanat. Lors de la saison sèche, à la décrue des rivières, les femmes se rassemblent en petits groupes pour écoper les mares stagnantes et ramasser le poisson qui y demeure emprisonné. A divers moments de l’année et surtout à la petite saison sèche, elles se livrent avec les enfants à la collecte des chenilles processionnaires, et en saison humide, des gastéropodes. Certaines d’entre elles filent le coton, le teignent à l’indigo ou se consacrent à la poterie. Mais à côté des travaux agricoles ce sont les tâches domestiques qui absorbent la plus grande part de leur temps et de leur énergie. La préparation de la nourriture est comme partout en Afrique une longue entreprise. Le riz doit être décortiqué dans les mortiers ; le plantain et les tubercules sont bouillis et réduits au pilon en une pâte compacte, traitement qui dure entre une demi-heure et une heure selon les quantités. Il leur faut préparer les sauces, quérir le bois dans la forêt et le débiter, puiser l’eau souvent à d’assez grandes distances, etc. La préparation d’un repas, qui se répète généralement deux fois par jour, prend entre une heure et demie et deux heures de temps. La confection de certains ingrédients comme l’huile de palme dure presque une demi-journée et occupe plusieurs femmes.

TABLEAU XII TAUX DE POLYGAMIE DANS QUELQUES VILLAGES GOURO. (Calculs basés sur les chiffres des recensements administratifs) Nombre de femmes mariées, par homme marié
Plusieurs indices laissent à penser que la répartition des tâches entre hommes et femmes est, chez les Gouro, plus d’ordre social que sexuel. La suppression légale de l’esclavage domestique a modifié la composition de la société gouro en l’amputant d’une catégorie sociale, faible sans doute en chiffres absolus, mais structurellement importante. Les femmes, ou plutôt certaines d’entre elles, se trouvent rejetées de ce fait au bas de la hiérarchie et sur elles retombent tous les vils travaux. Mais selon les déclarations des anciens, l’esclave mâle, autrefois, était tenu d’accomplir lui aussi des tâches réputées féminines, telles que le portage de l’eau et la plupart des travaux agricoles. Ce n’est qu’avec leur émancipation qu’ils en étaient progressivement libérés. Aujourd’hui les ouvriers agricoles en fournissent la contre-épreuve. Eux aussi sont astreints à des tâches modestes que les hommes du village refusent d’accomplir ; eux aussi vont parfois puiser l’eau et il n’est pas rare d’en voir piler leur nourriture.

TABLEAU XIII POLYGAMIE ET CÉLIBAT MASCULIN, PAR goniwuo (3 villages Goura). (Source : Recensements administratif)
Inversement, on observe qu’avec son rang l’épouse se voit délivrée des travaux les plus vulgaires. La première épouse ne puise pas l’eau, elle ne manie plus le pilon, elle s’abstient de nombreux travaux agricoles et se réserve des occupations plus dignes. Ce sont les dernières épouses, les ligori, qui accomplissent les travaux les plus méprisés et qui représentent, aujourd’hui que l’esclavage a disparu, la couche inférieure de la société gouro. Enfin, et en dernier lieu, l’âge intervient aussi pour différencier les tâches de telle sorte qu’un enfant mâle accomplira sans honte certains petits travaux dits féminins. La répartition des tâches s’explique mieux d’ailleurs dans une perspective sociale. Elle repose sur des interdictions faites aux hommes, et non aux femmes, d’accomplir certains travaux. Les hommes ne peuvent ni planter, ni cultiver, ni récolter le riz dont nous connaissons l’importance sociale. Ils ne peuvent non plus piler les aliments, ni faire la cuisine. Ils dépendent dans les deux cas du travail complémentaire et final des femmes pour engager les rapports sociaux associés à la nourriture. De ce fait, le mariage devient la condition nécessaire qui permet de disposer du riz, de nourrir des dépendants et des hôtes, donc d’occuper un certain rang. En faisant dépendre matériellement les hommes des femmes, ces conventions les font dépendre aussi et en dernier ressort de leurs aînés, puisque ce sont eux, nous le verrons, qui commandent l’accès aux femmes par le mariage. La répartition conventionnelle des tâches entre sexes contribue ainsi à préserver la hiérarchie dans le groupe des hommes, entre aînés et cadets. Mais cette répartition s’attache moins, nous venons de le voir, au sexe qu’à la condition sociale des individus, car tous ceux de condition analogue, esclaves et ligori par exemple, seront affectés aux mêmes travaux, indépendamment de leur sexe ; des hommes de ce fait, s’ils sont esclaves, se trouveront placés sous l’autorité d’une femme : la première épouse. Pour cette raison encore, pas plus qu’il ne peut se marier sans l’intervention de son aîné, le jeune homme ne peut prendre dans sa dépendance des esclaves socialement capables de faire les mêmes travaux que les femmes. La répartition sociale des tâches repose certes sur des conventions, mais ces conventions s’inscrivent dans un cadre cohérent, en harmonie avec celles qui régentent le mariage et qui ont pour effet de préserver la hiérarchie, l’autorité des anciens, le système de dépendance, et en général, de perpétuer les structures de la société.

LA CELLULE DOMESTIQUE Le rôle important que joue la femme dans l’économie de subsistance, ses fonctions de travailleuse, font de la famille conjugale et plus encore polygynique une cellule productive et organisée. L’organisation des cellules domestiques reflète et prolonge la hiérarchie masculine. Le principe général qui préside à cette organisation est que toutes les épouses d’une même communauté sont, comme leur mari, sous la dépendance de l’aîné et plus directement en ce qui concerne les femmes, sous celle de la première épouse. A mesure que les gonenu s’émancipent et qu’en même temps le nombre de femmes s’accroît, les épouses de la communauté se répartissent en plusieurs cellules domestiques, l’une étant composée, par exemple, de toutes les femmes de l’aîné, une autre des femmes de ses frères, une troisième des épouses de ses fils. Tel est, tout au moins schématiquement, le processus de décomposition des unités domestiques, processus qui souffre, ici encore, des variantes. Les épouses de l’aîné polygame sont placées sous l’autorité de la première d’entre elles. En principe, l’âge n’intervient pas, mais les épouses subséquentes répugnent généralement à dépendre d’une femme plus jeune, surtout quand il s’agit de divorcées. Généralement choisie et dotée par le père du marié, la première épouse aura dans le ménage certaines prérogatives. Le mari lui confie coutumièrement la garde de ses richesses. Les coffres et les urnes renfermant les pagnes et autres objets précieux sont déposés dans sa case ou dans sa chambre. Quand le mari désire disposer de ces biens pour prendre une nouvelle épouse, doter un de ses dépendants ou pour toute autre raison, il doit en avertir la première femme et justifier de leur emploi auprès d’elle. C’est la première épouse qui accompagne son mari dans ses déplacements, elle va aux champs quand il s’y rend pour lui préparer sa nourriture. C’est elle encore qui découpe les viandes, apprête les morceaux de choix et prépare les sauces. Surtout, c’est la première épouse qui a la gestion du grenier à riz et qui distribue à chaque groupe domestique les quantités nécessaires à la préparation des repas. Elle organise également le travail des ligori (autrefois des esclaves) : les unes seront envoyées aux champs, les autres aux corvées d’eau ou de bois, ou affectées à la préparation de la nourriture. La première femme a la haute main sur tous ces travaux, et son époux n’intervient éventuellement que par son truchement ; en principe, il ne donne pas directement d’ordre à ses plus jeunes femmes.Lorsque l’aîné se trouve à la tête d’un plus grand nombre d’épouses, c’est-à-dire le plus souvent entre six ou huit, rarement dix, celles-ci peuvent se subdiviser en plusieurs groupes, chacune des premières femmes recevant sous leur autorité et en alternance les dernières venues. Par exemple un groupe de cinq épouses pourrait se répartir de la façon suivante : la première, la troisième et la cinquième épouses ; la deuxième et la quatrième épouses ; si le mari prenait une nouvelle femme, elle rentrerait dans le groupe de la deuxième épouse, et si enfin il se mariait encore, la troisième pourrait à son tour former un nouveau groupe avec la nouvelle venue. Ce principe rigide d’alternance fait place quelquefois à des regroupements par affinité. Ces petits groupes d’épouses cultiveront chacun une rizière commune, ils auront leur propre foyer et chaque première épouse de chaque groupe aura la gestion d’un grenier. Aussi longtemps que les frères cadets ne sont pas émancipés, leurs femmes dépendront d’une des femmes de l’aîné ; elles rejoindront donc un de ces petits groupes que nous venons de décrire. Quand les frères cadets sont plus libres vis-à-vis de leur aîné, toutes leurs épouses, si elles ne sont pas encore très nombreuses, peuvent ne former qu’un seul groupe domestique cultivant la même rizière et cuisinant autour du même foyer. A mesure que leur nombre croîtra, elles formeront de nouvelles cellules domestiques. Ce même schéma se répétera en ce qui concerne les fils de l’aîné.

Quelques exemples d’organisation des co-épouses de polygames Bolu bi Bia, de Bazré (N’Goï) a neuf épouses. Ses deux premières femmes acquirent d’emblée les mêmes prérogatives : elles eurent chacune leur propre rizière et leur propre grenier. A mesure des mariages de Bia, les jeunes épouses (ligori) furent attribuées tantôt à la première, tantôt à la seconde. Aujourd’hui, la première épouse commande quatre ligori, et la seconde trois. Gala bi Tro, de Dobafla (Bouavéré) a sept femmes. Celles-ci sont divisées en trois groupes d’affinité ; le premier étant composé de deux femmes, dont la première épouse ; le second de trois femmes, dont la seconde épouse et les femmes d’un de ses jeunes fils ; le troisième est composé des femmes de son jeune frère placées sous l’autorité d’une des épouses de Tro. Vame bi Gore de Koblata (Bouavéré). Gore vit dans une ferme à l’écart de son village avec son jeune frère. Il est lui-même marié à cinq femmes et Gonekalo, son cadet, à trois. Ces huit femmes se groupent dans une seule cellule domestique sous l’autorité de la première femme de Gore, l’aîné. Mais au cas où celle-ci s’absenterait, c’est la première femme de Gonekalo qui la remplacerait, puis la deuxième femme de Gore, et ainsi de suite.

LE RÉGIME MATRIMONIAL

Les femmes ne sont pas seulement des travailleuses, elles sont aussi et surtout la source de toute dépendance future et leur progéniture est encore plus appréciée que leur force de travail. La femme se trouve donc être, à un double titre, la base et l’articulation de la société. Le mariage qui donne à un homme autorité sur elle et sur sa descendance sera donc soumis à un régime capable de contenir dans les limites structurelles de la société, ce double pouvoir de production et de reproduction. Dans ses grandes lignes, le régime matrimonial gouro est caractéristique des sociétés patrilinéaires, patrilocales et polygyniques. Un interdit de mariage existe, dont l’intention profonde et le résultat sont de prohiber l’alliance entre deux individus appartenant à la même communauté, c’est-à-dire dépendant tous deux d’un seul et même aîné. Le mariage gouro met toujours en relation, et ceci est pour nous sa caractéristique majeure, deux communautés différentes. Cette alliance s’accompagne d’une succession de présents offerts par la communauté qui accueille la femme à celle qui la cède, transfert matériel que nous désignerons sous le terme de dot. Le mot gouro fe, qui pourrait rendre ce terme, désigne les présents offerts à diverses occasions par la famille de l’époux dans le cadre de l’alliance matrimoniale.

La dot

La dot sanctionne essentiellement les rapports de paternité présents ou à venir qui s’établissent entre le mari et les enfants de son épouse. En principe, et ce principe est général et respecté, le père d’un enfant est celui qui a versé la dot pour la mère de cet enfant. L. Tauxier, le coutumier Gouro de 1933, la jurisprudence du tribunal coutumier de Bouaflé sont tous d’accord sur ce point qui a été confirmé par nos propres enquêtes. Un enfant né d’une femme non dotée sera donc revendiqué par sa famille maternelle et élevé par le frère de sa mère. La dot est donc associée au régime patrilinéaire et, inversement, son absence introduit les conditions du matrilignage. Ainsi, les N’Goï, qui émigrèrent du pays Baoulé, abandonnèrent le système matrilinéaire en adoptant la coutume de la dot, ce par quoi, disent-ils, ils devinrent des Gouro. Désormais, quand ils épousent une femme baoulé, ils versent la dot pour « garder les enfants » tandis qu’un Baoulé épousant une femme gouro se plie à la même coutume et acquiert la paternité de sa progéniture 2. Cette relation entre dot et filiation paternelle commande les rapports matrimoniaux sous leurs divers aspects. Un homme peut donner une femme à marier sans dot afin de garder les enfants dans son lignage. Nous en avons donné un exemple à propos du regroupement de Dhéra (Tianou)3. Le divorce, qui est fréquent, se règle selon le même principe. Si la femme quitte son mari avant d’avoir eu des enfants, le nouvel époux — car en général une femme ne divorce que pour se remarier — doit rembourser au premier la totalité des versements que celui-ci a faits à sa belle-famille. Il ne rembourse d’ailleurs que l’intégralité de cette somme sans y ajouter un surplus quelconque. Si la femme a déjà eu un ou plusieurs enfants, ceux-ci demeureront avec leur père, à moins qu’il n’exige le remboursement de la dot, auquel cas ils reviendront soit à la famille de la femme, si c’est celle-ci qui a procédé au remboursement, soit au nouveau mari. Lorsqu’une femme meurt sans enfants, ses parents sont tenus de proposer au veuf une autre épouse — une femme qui n’a pas encore été mariée. Si elle en était incapable, la dot serait reversée intégralement. Si, par contre, la femme meurt en laissant une progéniture, le mari peut en garder la paternité, mais il ne peut plus exiger le remboursement de la dot. Le montant versé correspondra alors à la durée réelle et effective du mariage. Enfin, tous les enfants d’une femme qui, ayant quitté son mari, vit avec un autre homme, seront considérés comme étant ceux du premier mari tant que la dot n’aura pas été remboursée par le nouvel époux. Les affaires de remboursement de dot, qui sont en réalité des affaires de dévolution de paternité, sont l’essentiel des procès qui ont lieu entre Gouro, car si les principes sont généralement admis, la codification de leur application est pratiquement inexistante. Chaque cas redevient un cas particulier. A côté du régime dotal, qui représente l’institutionnalisation des rapports matrimoniaux, il existait une situation de fait qui était l’enlèvement des femmes, ou, en d’autres termes, le mariage patrilinéaire mais sans dot. Ces enlèvements avaient heu parfois au sein d’une collectivité ou d’une alliance politique, comme le village ou la tribu, ou entre tribus alliées ; auquel cas, ils étaient régularisés après débats, soit par le versement de la dot, soit par le retour de la femme auprès de sa famille ou de son époux. Si l’enlèvement avait heu entre groupes non alliés, il était le signal d’une guerre4. Quand l’issue de la guerre n’était pas décisive, et si la femme demeurée auprès de son ravisseur mettait un enfant au monde, cette naissance était l’occasion d’une nouvelle guerre. Tout ce qui précède montre que la dot, en étant associée à la filiation paternelle, est également liée à la fécondité de la femme. Le processus dure à peu près tout le temps de la période féconde de l’épouse. Les Gouro disent en général que les versements ne se terminent qu’à la mort des parents de celle-ci. Les différents moments de ces versements sont demeurés aujourd’hui les mêmes que du temps des anciens. Leur contenu par contre s’est considérablement modifié. La monnaie européenne s’est substituée aux bro et représente maintenant la quasi-totalité de la dot. Les ivoires, les esclaves, l’or, les fusils ont disparu. Le petit bétail remplace le gros et les pagnes tendent eux aussi à disparaître. On sollicitait autrefois la jeune fille en remettant cinq à dix paquets de bro et quelques pagnes à son gardien, le doyen de la communauté de la fiancée5, ainsi qu’un cabri et d’autres variétés de pagnes (comme par exemple le dâgo) à la mère. Lorsque la demande était agréée, le futur époux était tenu de fournir quelques journées de travail sur les champs de la communauté de sa belle-famille en répondant au bo. Si le fiancé était déjà chef de famille, il y envoyait quelques-uns de ses dépendants. S’il s’agissait d’un jeune homme, il accomplissait lui-même ces travaux en se faisant accompagner de ses amis, et plus il était capable d’entraîner de monde sur les champs de son futur beau-père, plus il était apprécié. Pour obtenir le droit de vivre avec la femme, il fallait encore remettre un ou deux bœufs ou, à défaut, du petit bétail. On pouvait encore faire quelques cadeaux à l’occasion de la naissance du premier enfant (par exemple cinq dāgo, un cabri, un sofrolo, un kamatie), mais ceci n’était pas partout la coutume. Lors de différents événements survenant dans le lignage allié, le mari devait remettre de nouveaux présents sur lesquels on s’était parfois entendu au préalable. L’époux était libre d’ajouter quelques cadeaux aux versements convenus, s’il était particulièrement satisfait de ses rapports avec sa femme et ses alliés, ou s’il désirait manifester son opulence et sa munificence. Ces occasions étaient surtout les funérailles d’un des membres de la communauté de l’épouse, dans une moindre mesure, la maladie d’un de ses parents, le mariage des neveux maternels, auxquels l’oncle remettait quelques éléments de la dot, ou leur accession à un statut supérieur, etc. Lors des funérailles, par exemple, l’époux apportait autrefois comme présent de l’or, de nouveaux pagnes, un esclave ou un fusil, de la poudre, des objets d’ivoire et divers produits appréciés comme le sel. Aujourd’hui, il apporte presque exclusivement de l’argent. En définitive, le montant de ces présents variait beaucoup en fonction du statut social de l’époux, donc de sa richesse. Un homme de condition inférieure pouvait se trouver dans l’incapacité de remettre certains de ces présents. Ce pouvait être le cas d’un nouveau venu, étranger au village. On prévoyait dans ces cas des prestations de travail susceptibles de durer plusieurs années. L’époux cultivait les champs de la communauté de sa femme, offrait du gibier ou le produit de sa pêche, abattait et saignait les palmiers, etc. Il devenait l’obligé de son beau-père. Mais quel que fût son rang, il était toujours tenu, affirme-t-on, de fournir de 50 à 200 bro, 4 ou 5 pagnes et du petit bétail lors de sa demande, et d’autres cadeaux importants à l’occasion des funérailles. L’incapacité de remplir ces obligations entraînait généralement le divorce. L’épouse, retournée dans son village à l’occasion d’un décès ou de la maladie d’un de ses parents, y demeurait jusqu’à ce que le mari soit venu faire les cadeaux d’usage en quantité suffisante. S’il tardait, on lui envoyait un émissaire pour le rappeler à ses devoirs, et s’il tardait trop, on considérait le mariage comme rompu et l’on cherchait un autre époux pour la femme. Dans ces conditions, on dit que l’homme pauvre, celui qui n’a pas de biens ni de protecteur capable de verser pour lui la dot, ne pouvait être marié. Tous les versements de la dot sont très précisément mémorisés, et certains en tiennent aujourd’hui le compte par écrit, tout au moins tout le temps que les rapports de filiation risquent d’être remis en cause par un divorce et qu’un remboursement demeure exigible. Ces restitutions sont parfois très tardives et la filiation définitive d’un individu peut n’être réglée que plusieurs dizaines d’années après sa naissance. A Bazré par exemple, Kaku bi Libue qui était recensé en 1955 dans le goniwuo de Diazramô, retourna en 1958 dans celui de Grizramô après que la dot de sa mère fut versée aux trois aînés de Diazramô. Libue avait alors près de 40 ans. De ce qui précède, deux caractéristiques de la dot se dégagent : la dot traditionnelle est toujours composée de plusieurs biens et ces biens sont très précisément ceux que l’on cite comme composant la richesse des aînés ; la dot, par son importance comme par sa composition, est hors de portée des individus dépendants, tenus par leur statut de remettre le produit de leur travail à leur aîné. Ces derniers sont donc les seuls capables d’engager des rapports matrimoniaux. La possession des richesses leur permet de se marier eux-mêmes et d’avoir plusieurs épouses. Les autres dépendent d’eux pour obtenir femme. Là réside la principale source d’autorité des anciens. Les hommes qui travaillent pour l’aîné sont aussi ceux pour qui il doit verser la dot (à Bazré on appelle parfois le groupe de parenté restreint anefend : ceux que je dote). Les obligations de travail occasionnelles que nous avons examinées précédemment s’accompagnent aussi d’une contribution du bénéficiaire à la dot. Pour se marier, le jeune homme devra donc avoir recours en premier lieu à son aîné, et accessoirement à ceux de ses parents vis-à-vis desquels il aura des obligations de travail. Il ne pourra fournir lui-même que les prestations de travail exigées par ses futurs beaux-parents et parfois un pagne qu’il aura tissé avec l’écheveau filé et donné par sa mère ou une sœur. Par le truchement de la dot, qui établit les rapports de filiation et de dépendance, la richesse se trouve être ainsi l’agent nécessaire à l’établissement des relations sociales fondamentales.

Fonction de la dot

De ce qui précède, peut-on assimiler le versement de la dot à une opération d’achat6 ? Il ne pourrait en être ainsi que si les rapports matrimoniaux s’inscrivaient dans un système économique mercantile où les objets circuleraient en fonction de préoccupations commerciales. Or, nous avons vu que dans la communauté il n’y a pas d’échanges bilatéraux, et qu’entre communautés, les échanges portent essentiellement sur les objets de la dot en rapport avec l’alliance matrimoniale. Si l’on voulait assimiler cette opération à un achat, il faudrait déjà distinguer entre deux modes de circulation : celui qui est propre aux biens ayant valeur d’usage, et qui se limite à un seul transfert bilatéral, et celui des biens ayant valeur d’échanges, ou marchandises, qui sont achetés pour être revendus. Il est clair que les femmes ne circulent pas comme des marchandises, le mari n’en acquiert jamais la pleine propriété, il ne peut la revendre à un tiers, et les remboursements de dot se font toujours sans profit. Si la femme est un bien ayant valeur d’usage, son « échange » ne se solde encore par aucun profit matériel puisque dans le cadre traditionnel, les richesses obtenues en contre-prestation n’ont d’autre destination que l’établissement de nouveaux rapports matrimoniaux. Dans n’importe quel cas, cette « vente » singulière se ferait sans bénéfice. Cette interprétation se heurte d’ailleurs à d’autres objections : le montant de la dot ne reflète pas les qualités physiques ou les vertus morales de la femme. En pays Gouro, toutes les femmes pubères sont mariées, même lorsqu’elles sont tarées ou infirmes, le montant de la dot étant parfois aussi élevé pour celles-ci que pour les femmes en bonne santé. Enfin, et surtout, le remboursement de la dot ne se fait pas en considération du départ de la femme, mais de celui des enfants : quand les enfants demeurent auprès du père, la dot n’est pas remboursée, bien que la femme ne soit plus sous l’autorité du mari. Il ne semble pas non plus que l’on puisse considérer la dot comme « compensation » de la force de travail de la femme. Le rapprochement avec le mariage occidental incite à cette interprétation : la femme, dans la société bourgeoise, ne travaille pas ; pour permettre au mari de l’entretenir, on lui verserait une dot qui compenserait en quelque sorte l’oisiveté de son épouse. Aujourd’hui que les femmes de la moyenne bourgeoisie travaillent, la coutume de la dot tombe en désuétude. Elle ne s’était jamais imposée dans le milieu ouvrier. Par contre, dans les sociétés traditionnelles, la femme fournit un très gros travail et son départ est une perte pour sa communauté, perte qui doit être compensée. Au lieu d’être versée au mari, comme dans le mariage occidental bourgeois, la dot sera donc versée à la famille de la femme. Pour simple et séduisant que soit ce raisonnement, il n’est pas logique. Le fait que l’on observe deux phénomènes symétriques (ici la destination de la dot) n’implique pas que les causes de chacun de ces phénomènes soient également symétriques ou contraires (ici oisiveté et travail)7. Si, dans le cas qui nous occupe, la dot était une compensation, elle mesurerait une perte avec laquelle son montant serait mis en équivalence. Or, tout d’abord, les Gouro ne disent pas que le montant de la dot dépend des qualités de la femme, mais de la richesse de celui qui la verse. Elle est liée dans leur esprit au rang, au prestige de l’époux ou de son protecteur. Certes, les autres considérations ne sont pas totalement absentes, et l’amour non plus n’est pas étranger au mariage, mais ces considérations ou les sentiments ne sont pas déterminants. En second heu, il n’existe dans l’économie gouro aucun moyen de mesurer la perte en travail que représente le départ d’une femme : la rémunération du travail n’existe pas, la contribution de chaque travailleur n’est soumise à aucune comptabilisation. Enfin, et une fois de plus, cet aspect du problème n’entre pas en considération lors des divorces, ce sont les problèmes de filiation qui commandent la restitution de la dot et toujours dans son intégralité. D’après ce que nous avons vu de cette institution, le caractère composite de la dot et l’appréciation conventionnelle des objets qui la composent, d’après ce que nous savons de la façon dont sont acquis ces biens et de la qualité sociale de leurs détenteurs, on peut affirmer que la dot a pour résultat, sinon pour objet, la perpétuation du système social selon un modèle structurel répétitif. Son rôle dans la société gouro est celui d’un instrument du conservatisme social. Produit et manifestation ostensible d’un système de dépendance de type lignager, seule la dot, qui commande le mariage, permet la reconstitution d’une dépendance du même type. Elle préserve la hiérarchie sociale puisque seuls les aînés sont susceptibles de rassembler les objets de la dot et que son montant est toujours fixé à un niveau inaccessible aux dépendants. Dans le cadre de l’économie monétaire, cette préoccupation discriminatoire apparaît avec encore plus de netteté. Aujourd’hui que l’argent est devenu à son tour une richesse, il entre pour une part importante dans la composition de la dot, bien que les objets traditionnels encore en circulation n’en soient jamais absents et préservent ainsi son caractère composite. Mais la monnaie en s’introduisant dans le circuit matrimonial, substitue à des objets identifiables, spécifiques, dont la destination était associée à leur nature, et qui de ce fait n’étaient que rarement interchangeables, un produit à vocation universelle, aliquote, et de surcroît pouvant s’obtenir par le commerce ou le salariat indépendamment des normes conventionnelles. Pour conserver à l’argent son caractère discriminatoire, et à la dot sa fonction conservatrice, les anciens devaient exiger des sommes élevées, compatibles avec les revenus globaux d’une communauté recueillis par les aînés et avec la trésorerie qu’assure la circulation des dots entre leurs mains, mais encore inaccessibles aux jeunes hommes et aux dépendants. D’après nos informations, les revenus d’un doyen de communauté, planteur de café, se situent annuellement entre 200 000 et 400 000 francs C.F.A. En Abidjan, selon les calculs du Service de la Statistique de Côte d’Ivoire8, 68 % des salariés africains reçoivent entre 5 000 et 15 000 francs C.F.A. par mois et les dépenses absorbent la totalité de ce revenu et parfois davantage. Or, les sommes versées en dot se situent entre 50 000 et 100 000 francs C.F.A. C’est la raison pour laquelle, selon nous, les tentatives faites par l’administration pour abaisser le taux des dots ont toujours échoué, car en limitant leur montant en argent, l’administration limitait aussi l’autorité des « notables » sur lesquels elle s’appuyait, en permettant à leurs dépendants de se marier sans leur consentement et d’échapper à leur tutelle.

RICHESSE - CAPITAL - MONNAIE

L’affectation presque exclusive de la richesse aux rapports matrimoniaux nous éclaire sur certaines de ses propriétés. Rappelons que la richesse, après être parvenue à un niveau social supérieur, s’y maintient et ne redescend plus entre les mains des gonenu ou des penu. Elle ne circule qu’entre les aînés, soit par les règlements matrimoniaux, soit par la succession. Il s’établit ainsi un premier niveau de circulation réservé aux trésors et associé au rang social. De surcroît, les objets qui composent la richesse ne sont pas identiques, non seulement parce qu’ils diffèrent entre eux par leur nature, mais aussi par les fonctions particulières qu’ils sont susceptibles de remplir dans l’établissement des rapports sociaux et de la hiérarchie. Ceci est particulièrement frappant, nous l’avons vu, pour ces richesses hautement conventionnelles que sont les pagnes. Ainsi, l’interchangeabilité des biens est limitée à deux niveaux : les biens vulgaires ne peuvent s’échanger contre les trésors, et ceux-ci, de par leur spécificité, ne peuvent s’échanger entre eux que dans des limites restreintes. C’est ce phénomène déjà décrit et étudié par d’autres auteurs9 qui a suggéré l’idée de sphères de circulation sans communication entre elles, au sein desquelles ne circulent que des produits remplissant des fonctions analogues, donc échangeables, ou plus exactement capables d’être substitués les uns aux autres. La coexistence de ces différentes sphères s’oppose naturellement à l’établissement d’un système d’échange généralisé et, par suite, à l’apparition d’une marchandise-monnaie à vocation universelle. Dans la réalité, le contenu de ces sphères de circulation n’est pas parfaitement défini. Certains objets se trouvent dans une position ambivalente et des transactions triangulaires rendent possible la communication indirecte entre les divers niveaux de circulation. Nous verrons que l’apparition du commerce a contribué, par l’introduction de la monnaie, à lézarder cet édifice, sans toutefois l’avoir brisé encore à ce jour10. 71L’inconvertibilité des biens retire à la richesse quelques-unes des propriétés que l’on serait tenté de lui attribuer par assimilation aux phénomènes économiques contemporains. La richesse n’est pas un capital. Elle est composée, comme nous l’avons fait remarquer, d’objets n’intervenant pas dans le processus de production, ou, lorsque c’est le cas, de biens utiles accumulés au-delà des exigences de l’économie de subsistance et n’intervenant pas, en fait, dans la production. De par leur caractère oisif les trésors n’ont ni capacité productive, ni reproductive ; ce ne sont pas des biens de production (en anglais, plus explicitement : capital goods). L’accumulation ne peut pas se faire par leur truchement au moyen d’une reproduction élargie des biens matériels. Par contre, ils permettent une reproduction naturelle de la communauté et l’accroissement de ses effectifs en hommes. En entrant dans la composition des dots, c’est précisément à cette fonction de reproduction qu’est associée la richesse. On pourrait donc admettre sur cette base que la richesse traditionnelle est un capital puisque c’est en circulant qu’elle LIbère les potentialités reproductives de la société. Ce ne serait encore toutefois qu’un capital fiduciaire, car contrairement à un bien d’investissement, les trésors circulent comme des signes intangibles, inaltérés par le processus de reproduction qu’ils mettent en mouvement et prêts à jouer indéfiniment le même rôle11. En tant que capital fiduciaire, la richesse ne circulerait encore que comme représentation d’un capital réel, celui qui est l’instrument de la reproduction, c’est-à-dire en l’occurrence, les femmes. Mais une différence fondamentale subsiste encore. Le capital fiduciaire, c’est-à-dire la monnaie réservée à la création des biens de production, permet en circulant de créer de nouvelles forces productives. Les richesses, en circulant comme dots, libèrent des potentialités reproductives déjà existantes mais stérilisées par un jeu d’interdits. Elles brisent une convention sans faire apparaître ni créer de nouveaux moyens de production ni de reproduction. Nous avons employé un mot : « fiduciaire », qui pose par un autre biais le problème déjà esquissé plus haut, à savoir : les richesses peuvent-elles être assimilées à de la monnaie ? Comme pour une monnaie fiduciaire, en effet, l’appréciation des richesses repose sur une convention qui s’appuie elle-même sur la reconnaissance sociale et la confiance accordée aux aînés qui la détiennent. Mais là s’arrête la comparaison. Aucun trésor, en dehors des sōmpe qui sont d’origine étrangère et largement détournés de leur fonction monétaire, ne possède les qualités physiques de la monnaie : durabilité et divisibilité. Ils n’en ont presque aucune des propriétés. Contrairement à la monnaie, marchandise universelle, la richesse est non seulement faite de biens inconvertibles entre eux (ou convertibles seulement dans d’étroites limites), mais elle est encore étroitement liée au statut de ceux qui la détiennent ; elle n’a pas comme la monnaie les mêmes propriétés entre toutes les mains : elle n’est agissante qu’entre celles des aînés. Aucune des fonctions habituellement reconnues à la monnaie n’est remplie par les trésors : ils ne sont pas des « réserves de valeur » car ces objets sont généralement détournés de leur valeur d’usage et ils n’ont pas, faute de pouvoir s’échanger entre eux, de valeur d’échange. Ce ne sont pas des moyens de paiement ou de crédit dans une économie de prestation et de redistribution, étrangère au commerce. Un bien ne devient monnaie, en effet, qu’en fonction du complexe économique dans lequel il circule. C’est le système économique qui est la condition d’existence d’une monnaie et l’économie gouro traditionnelle, économie, répétons-le, d’auto-subsistance, prestataire et redistributive, ne pouvait en susciter l’apparition12. 78Nos trésors ne sont donc rien d’autre que des signes dont le contenu en travail est assez considérable pour témoigner du rang de ceux qui en sont les détenteurs. Leur appréciation repose sur une organisation sociale hiérarchisée et sur une fonction de circulation conventionnellement réduite aux échanges matrimoniaux. La fonction de la richesse, quand bien même elle déborde parfois ce cadre, se confond étroitement avec celle de la dot. Les êtres humains, en effet, parce qu’ils sont les seuls agents de l’économie, la seule source d’énergie, le seul moyen de production et de reproduction, sont le pôle de toutes les relations économiques. La répartition des richesses reflète la hiérarchie sociale ; leur circulation vise à maintenir la société dans un cadre structurel inaltéré. Faute de pouvoir intervenir directement dans le processus de production, et c’est là une des conditions de la perpétuation des structures sociales, les richesses ne réagissent pas ou très peu sur l’infrastructure économique. Chez les Gouro, les richesses ne sont pas désirées pour elles-mêmes, ni indépendamment du rang social. Elles ne peuvent, dans ces conditions, jouer le rôle de capital ou de monnaie comme dans nos sociétés industrielles et capitalistes contemporaines. *** Le versement de la dot achève le cycle de reproduction de la structure sociale. Mais si le principe général de l’autorité ancestrale est préservé et reconduit par ce moyen, c’est au prix de la dissolution progressive de l’autorité individuelle des aînés. Chaque versement de dot, chaque mariage, desserre leur emprise sur une partie de leur dépendance en donnant précisément à celle-ci les moyens de l’indépendance. Bien qu’il relâche à chaque fois les liens qui l’unissent directement à ses cadets, et bien que ce soit pour lui une tentation permanente d’utiliser sa richesse à accroître le nombre de ses propres épouses plutôt que de marier ses dépendants, l’aîné ne peut pas se dérober à cet impératif sans risquer de voir sa communauté dépérir ou éclater. A l’inverse de son désir de confisquer les femmes à son profit, et par là de neutraliser les moyens de l’émancipation des cadets, l’aîné est animé par le souci d’élargir sa dépendance et de perpétuer son autorité. Ces intentions contradictoires laissent à chaque aîné la possibilité d’une stratégie qui introduit dans la communauté un jeu social, source de tensions et de conflits permanents. De ce fait, le cycle social ne se reproduit pas harmonieusement, mais par ruptures successives et plus ou moins brutales. Sur le plan économique, le versement de la dot boucle le cycle de la circulation au sein de la communauté. Le produit du travail des dépendants, recueilli par l’aîné, leur fait retour, mais converti en moyen naturel (une épouse) de se constituer à leur tour une dépendance. Toutefois, ce circuit ne s’accomplit au sein de chaque communauté que par l’ouverture de cette dernière vers d’autres communautés semblables. A partir de là, cette cellule sociale cesse d’être autonome. Puisqu’en vertu de l’interdit de l’inceste les femmes pubères du groupe sont rendues conventionnellement inaptes au mariage avec les hommes du même groupe, cette règle exige des rapports avec d’autres cellules dont une des caractéristiques économiques sera donc d’être fonctionnellement capable de produire des biens matrimoniaux, d’accumuler des richesses. L’interdit fixe les normes économiques qui commandent l’existence et le fonctionnement des cellules exogamiques, lesquelles correspondront, pour cette raison matérielle, à ce que nous avons appelé la communauté. 82Les rapports matrimoniaux tissent ainsi des liens complémentaires et réciproques entre les communautés. C’est à ce niveau que se constitue un ensemble social composé de cellules autonomes agencées et organisées de proche en proche autour des rapports matrimoniaux, eux-mêmes fondés sur une convention généralement admise par tous ces groupes et définissant la vocation sociale des richesses. Cette convention qui donne pouvoir aux choses de sanctionner les relations humaines est, à notre sens, une des composantes de la culture permettant de définir une société. 83Dans une ethnie aussi nombreuse et aussi hétérogène que celle des Gouro, cette convention n’est pas d’emblée universellement acceptée. Les Gouro, nous l’avons dit, se connaissaient de proche en proche, les alliances matrimoniales se faisaient de même ; des variantes dans la composition des dots, surtout en ce qui concerne les pagnes, sont observables dans les différentes régions. A cet égard, la société Gouro n’était pas véritablement achevée et les particularismes, qui tendent aujourd’hui à disparaître, se manifestaient aussi par des appréciations différentes des richesses. L’ouverture des communautés les unes vers les autres aboutit à la constitution d’alliances politiques, qui sont en définitive des alliances matrimoniales plus ou moins larges : le village est la plus restreinte et la plus compacte ; la tribu groupe les villages ayant accepté l’institutionnalisation du mariage par la dot, et plusieurs tribus peuvent s’allier sur la même base. On faisait autrefois la guerre à ceux qui n’entraient pas dans le système d’alliance et qui, par conséquent, ne reconnaissaient pas conventionnellement aux richesses d’un groupe donné la destination sociale et matrimoniale reconnue dans ce groupe. Ce sont ces ensembles plus vastes, fondés sur les alliances matrimoniales, dont nous allons pouvoir maintenant examiner l’organisation politique et sociale.



1 commentaire:

  1. lES MOUAN OU MWAN et les WAN ou OUAN sont deux petits peuples qui ont été repoussés par les Gouro. Ils se sont retrouvés à la lisière de la forêt et la savane pour mieux contrôler les envahiseurs. Les premiers villages qu'ils ont crée fus Baninpla et Zohorta.Ces villages ont été detruits par la guerre de Samory Touré. Le partiage de lignée des GOGBE de Bambalouma serait venu de NIANANGON. Cette famille adore l'esprit d'une coline du nom de bahannin. Je remercie les auteurs de ce document d'avoir éclairer les GOURO

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